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L’acte photographique d’Isadora Re

par P-H. GIRAUD

 

Équatorienne et Argentine, Isadora Re vit à Paris depuis plus de deux ans, après avoir habité ou longuement séjourné à Buenos Aires, Quito et Madrid. Sa formation d’architecte se ressent dans son travail photographique, et ce de différentes manières : par la rigueur de la composition, qui fait volontiers référence à la géométrie ; par l’aspect construit des images, où l’on perçoit les réminiscences croisées de différentes avant-gardes des années 20 du XXe siècle (El Lissitzky, Paul Strand, Man Ray) ; par la netteté graphique de ses Retratos ecuatorianos (Portraits équatoriens), où les visages ou les fragments de corps se trouvent décontextualisés, isolés et rendus à eux-mêmes par un clair-obscur qui n’occulte pas, mais révèle.

 

Le propos d’Isadora dans cette série de cent images semble être moins d’ordre sociologique ou historique que psychologique et moral, dans la grande tradition du portrait en peinture et en photographie. L’effacement de tout contexte et l’absence de tout accessoire permettent de magnifier les traits plus ou moins métissés de ses modèles, dont nous ne connaissons que le prénom. Et nous voici face à chacun et à chacune comme la photographe elle-même l’a été, dans une séance de pose dont on devine qu’elle fut dirigée avec souplesse, de façon à ce que le modèle se détende et « se lâche Â», se déprenne de son personnage social, se livre un tant soi peu dans la fragilité de cet instant volé à la routine – curieux instant d’introspection où l’on se sent regardé et bientôt fixé sur le papier, inchangeable, immobile, tandis que la personne va continuer de vieillir, le personnage d’évoluer, l’identité de se construire en dialogue avec un monde, une société, un climat et un paysage d’autant plus extérieurs qu’ils ne sont pas ceux dans lesquels on est né.

 

Mais parfois transparaît le paysage de l’enfance ou de l’inconscient sous les espèces d’une forêt, de brumes ou de montagnes en surimpression. Parfois dans le silence d’une gestation le futur se profile en une forme ronde, grosse de rires et de cris. Parfois la circonstance, pesante ou palpitante, se stylise en une attitude de repli sur soi ou au contraire en un geste de danse, en un regard pensif ou souriant, intériorisé ou bien en quête de communication ou de compréhension, d’un peu d’amour peut-être.

 

L’acte photographique d’Isadora Re ne viole pas le mystère des êtres ; il le souligne et l’accompagne avec délicatesse, le fixe contre une ombre ou le prolonge dans un rythme abstrait de rayures. Chacune ou chacun de ses modèles poursuivra son parcours, ici, là-bas ou bien peut-être ailleurs, mais avec en mémoire la fenêtre ou du moins l’embrasure (ronde, carrée, triangulaire ou trapézoïdale, ou encore en forme de fleur ou de lèvres) où son effigie s’est inscrite ou de laquelle elle a surgi, sous la mansarde parisienne où Isadora a posé son studio.

 

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